Législatives 2024 : récit chaotique d’une campagne électorale éclair

L’élément déclencheur

En réaction aux résultats des élections européennes, l’annonce (surprise) de la dissolution de l’Assemblée Nationale par le Président le 9 juin dernier a plongé la France dans une situation politique inédite, ravivant d’anciennes rivalités et générant des alliances nouvelles.

Fort d’un score historique (31%) aux européennes, le Rassemblement National (RN) s’affiche désormais comme le favori à abattre pour les élections législatives prévues les 30 juin et 7 juillet. Si pour Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, ces résultats annoncent “la fin du macronisme”, la ministre de la culture Rachida Dati déplore un “échec collectif”.

L’imminence des législatives impose désormais à tous les partis les défis d’une campagne éclair d’à peine trois semaines, transformant ainsi la dynamique politique en France. L’urgence est tout aussi stratégique que technique : dans une situation de recomposition politique, les partis ont disposé d’une semaine pour proposer les candidats qui ont eu eux-mêmes deux jours pour imprimer leurs professions de foi. Un contexte qui a pu freiner et empêcher certains candidats de se présenter puisqu’on recense cette année 4 011 candidats alors qu’on en comptait 6 293 en 2022.

Des partis en quête d’unité

 Dans une coalition héritière de la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale (NUPES) constituée lors des législatives de 2022, la gauche s’est rapidement réunie sous l’égide d’un “Nouveau Front Populaire” (NFP). On compte notamment le Parti Socialiste, Place Publique, La France Insoumise, le Parti Communiste Français et les Écologistes.

François Ruffin appelant à une union de la gauche sur son compte Instagram

 

Prêts à la bataille dans l’unité et la clarté” (LFI), le NFP entend ainsi “barrer la route au RN” (Raphaël Glucksmann, Place Publique) et “éviter le pire” (François Ruffin, LFI). Au-delà des clivages existants, l’urgence d’une mobilisation commune autour de cette même ambition l’a emporté.

Un scénario différent pour la droite dont les clivages au sein même des partis ont freiné la construction d’une réponse unie. Tandis que Marion Maréchal pour qui le “camp national n’a plus le droit d’être divisé” a appelé les électeurs de Reconquête à voter pour les candidats RN, Eric Ciotti qui estime que “la seule réponse est l’union des républicains et des patriotes face au péril d’extrême gauche” a décidé de se rallier au RN avec les volontaires LR. Des déclarations et des actes qui n’auront pas été sans conséquences, chacun ayant été dûment remercié par son (ex)parti.

Le camp d’Emmanuel Macron “Ensemble pour la République” doit ainsi faire face à ces deux coalitions principales bien distinctes. Face à la journaliste Amandine Bégot dans RTL Matin, l’ex Premier Ministre Edouard Philippe a appelé à « construire une nouvelle majorité » et à “accepter que sur un certain nombre de points on puisse travailler avec d’autres.” Renaissance, Horizons et le MoDem forment désormais le “troisième bloc” (Gabriel Attal).

Des logiques différentes

En s’appuyant sur les travaux de Marc-Antoine Brillant et Selda Gloanec (2016)[1], on peut identifier différentes stratégies de coalitions.

La “logique de composition” en vue d’une “logique de consolidation” employée par le NFP vise dans un premier temps à réunir des électeurs de gauche au-delà de certaines visions différentes pour tenter ensuite de “neutraliser” ces divergences pour “maintenir un équilibre”. De son côté, le RN semble avoir opté pour la “logique de l’isolement” en prenant soin de ne pas se rallier avec certains partis.

À l’image de la ligne politique “ni de droite ni de gauche” dont se réclamait Emmanuel Macron en 2017 la “logique de consolidation” est employée par “Ensemble pour la République”. Elle vise à “maintenir un équilibre vers le centre” car “les programmes présentés par l’extrême gauche et l’extrême droite seraient des catastrophes pour l’économie et pour l’emploi.

Le choix stratégique des protagonistes/antagonistes

S’est ensuite rapidement posée la question des investitures des candidats et l’attribution des circonscriptions. La majorité présidentielle qui souhaite “lutter dès le premier tour contre les extrêmes” selon Gabriel Attal, a fait le choix de ne pas présenter de candidats dans une soixantaine de circonscriptions jugeant ses “candidats utiles […] pour éviter l’arrivée des extrêmes au pouvoir.”

Ce chapitre marque également le retour inattendu de certaines figures politiques, telles que l’ancien Président François Hollande, candidat pour la 1ère circonscription de la Corrèze, ou de son ancien ministre du budget Jérôme Cahuzac, candidat pour la la 3e circonscription du Lot-et-Garonne.

Et en cas de victoire, qui se verra attribuer le rôle principal de Premier Ministre ? Tandis que le parti à la flamme a déjà annoncé que Jordan Bardella serait premier ministre en cas de majorité absolue, c’est un sujet plus clivant pour le NFP :  vote ? (défendu par Olivier Faure, contesté par LFI) ou poids parlementaire (fortement soutenu par LFI) ?

Le pouvoir d’achat : un leitmotiv commun

Le pouvoir d’achat est au centre de chaque programme. Un fait non surprenant si l’on revient sur l’étude Ipsos “Comprendre le vote des Français”, réalisée en prévision des européennes, qui identifie ce sujet comme comptant le plus dans le choix du vote, juste avant l’immigration et l’environnement.

Performances comparatives sur les réseaux sociaux

Depuis le 1er juin, les “législatives” ont généré 2,1M de mentions sur les réseaux sociaux en France.

Inévitablement, on identifie une forte mobilisation politique, militante ou engagée sur les réseaux sociaux. Dans une “lettre ouverte à tous les jeunes qui [le] suivent” sur Instagram, l’influenceur Squeezie a appelé à faire barrage au RN, une première pour le YouTubeur réunissant plus de 8 millions d’abonnés. La riposte ne s’est pas faite attendre et Jordan Bardella lui a répondu sur le même modèle, dans une “lettre ouverte à tous les jeunes qui suivent Squeezie (et autres).”

Sur ce dernier écran, Jordan Bardella s’illustre comme un gamer, en plus de l’homme politique.

Une stratégie du “clash” bien présente également sur X à travers laquelle chaque candidat propose une lecture comparative de son programmes par rapport à un autre, invitant les (é)lecteurs à faire le bon choix dans leur vote.

Sur X, les batailles internes s’affichent sans filtre. Eric Ciotti privé de l’accès au compte des LR a intensifié sa communication depuis son compte personnel.

Un dénouement incertain

Si ce récit politique s’apparente à une nouvelle au dénouement incertain, il est avant tout révélateur de la nécessité d’exister par rapport à un adversaire, tel un protagoniste et son antagoniste.

Par d’Aurore Nory.

[1] Brillant, M. & Gloanec, S. (2016). Un peu de stratégie dans un monde de politiques…. Stratégique, 112, 209-216. https://doi.org/10.3917/strat.112.0209