Jeux paralympiques Paris 2024 : de l’Ukraine à la Chine, entre inclusion sincère et soft power ?

Les Jeux paralympiques de Paris 2024 ont révélé une réalité saisissante, bien au-delà des simples résultats sportifs : des nations comme l’Ukraine, 8ème au classement des médailles bien qu’en pleine guerre, brillent de manière exceptionnelle. Les performances ukrainiennes, tout comme celles du Brésil (5ème) considéré comme une économie émergente ou de la Grande-Bretagne à la population relativement faible, invitent à questionner la signification de ces succès dans un monde où le sport devient souvent une arme géopolitique. Ces exploits sont-ils les marqueurs d’une véritable inclusion des personnes en situation de handicap ou servent-ils des ambitions de soft power, comme c’est le cas pour la Chine ?

L’Ukraine : une résilience forgée dans l’adversité

L’histoire de l’Ukraine aux Jeux paralympiques est un témoignage poignant de résilience et de détermination. Depuis les Jeux d’Athènes en 2004, le pays s’est régulièrement classé dans le top 5, une performance remarquable pour une nation de moins de 40 millions d’habitants. Cette année, malgré le conflit qui ravage le pays depuis 2022, l’Ukraine a maintenu sa position parmi l’élite paralympique mondiale.

Cette réussite trouve ses racines dans un passé douloureux : la catastrophe de Tchernobyl en 1986 a laissé derrière elle une génération marquée par les radiations, confrontée à des handicaps et des malformations. Paradoxalement, cette tragédie a été le catalyseur d’une politique volontariste en faveur du handisport après l’indépendance du pays en 1991.

Valeriy Sushkevych, fondateur du comité paralympique ukrainien et lui-même atteint de poliomyélite, a été l’architecte de cette transformation. Il a créé un réseau national de centres spécialisés, offrant aux jeunes en situation de handicap la possibilité de s’essayer à diverses disciplines sportives. Ce système, salué par le Comité International Paralympique comme l’un des meilleurs au monde, a non seulement formé des athlètes d’élite, mais a fait de l’inclusion sociale des personnes handicapées un pilier fondamental du projet de société ukrainien, véritable espace de rédemption aujourd’hui pour les victimes de la guerre.

Le Brésil : une puissance paralympique inattendue

Le Brésil quant à lui, a réussi à s’imposer comme une nation majeure dans le monde paralympique bien que souvent perçu comme un pays pauvre avec des inégalités marquées. Avec 255 para-athlètes présents à Paris, il s’est hissé au cinquième rang du classement général, loin devant sa plus modeste 20ème place aux Jeux Olympiques.

Cette réussite est le fruit d’une politique sportive ambitieuse, initiée au milieu des années 90 avec la création du Comité Paralympique Brésilien. Le tournant décisif a été l’organisation des Jeux à Rio en 2016, qui a agi comme un catalyseur. Le pays a investi massivement dans les infrastructures et la formation, notamment avec la création du Centre d’Entraînement Paralympique à São Paulo. Le financement innovant (loi Agnelo/Piva), issu en partie des recettes de la loterie nationale, a également joué un rôle crucial et permis à des athlètes comme le nageur Gabriel Araujo de s’imposer comme une star des bassins.

Ce succès reflète également les caractéristiques démographiques et sociales du pays, avec près de 19 millions de personnes en situation de handicap, souvent issues de milieux défavorisés. Le handisport devient alors un outil de promotion sociale, même si, comme le rappelle la secrétaire nationale aux droits des personnes handicapées, beaucoup reste à faire en termes d’inclusion sociale​.

La Chine ou l’empire du soft power

La Chine a largement dominé ces Jeux paralympiques avec un total impressionnant de 220 médailles, consolidant ainsi son statut de superpuissance paralympique. Ce succès n’est pas nouveau : depuis 2004, la Chine règne en maître sur les compétitions paralympiques. Cependant, ces résultats sont à mettre en perspective avec une stratégie politique et géopolitique bien définie. Loin d’être uniquement un projet sportif, la réussite paralympique de la Chine s’inscrit dans une logique de soft power, où le sport est utilisé pour accroître l’influence internationale du pays.

Dès 2001, lorsque Pékin est désignée pour organiser les Jeux olympiques et paralympiques de 2008, le gouvernement chinois met en place un programme ambitieux pour développer le sport paralympique. En 2007, un immense centre de préparation voit le jour dans le nord de Pékin, s’étendant sur 23 hectares, avec des infrastructures à la pointe de la technologie dédiées exclusivement aux athlètes paralympiques. L’objectif est clair : non seulement dominer les Jeux, mais aussi utiliser le para sport comme un levier de rayonnement international.

Toutefois, cette réussite sportive contraste avec la réalité quotidienne des personnes handicapées en Chine. Un rapport de Human Rights Watch de 2013 révèle que de nombreuses personnes handicapées restent marginalisées, sans accès à l’éducation et à l’emploi.

Grande-Bretagne : un modèle de continuité

Berceau des Jeux paralympiques initiés en 1948 pour réhabiliter les vétérans de guerre, le Royaume-Uni s’est hissé à la seconde place avec 124 médailles. Le succès britannique est également le fruit d’une politique stratégique qui identifie et soutient les talents sportifs dès leur plus jeune âge, combinée à des investissements conséquents, notamment grâce à la loterie nationale.

Contrairement à la Chine, ce succès semble s’inscrire dans une démarche sincère d’inclusion des personnes handicapées, avec un véritable effort pour changer les perceptions et intégrer ces athlètes dans la société​.

Médaille à deux faces ? Les Jeux paralympiques de Paris 2024 ont été un spectacle d’excellence sportive, mais ils ont aussi révélé des divergences profondes dans la manière dont les pays utilisent le sport paralympique. D’un côté, des nations comme la Chine et dans une moindre mesure le Brésil y voient un outil de soft power, un moyen de redorer leur image internationale. De l’autre, des pays comme l’Ukraine et la Grande-Bretagne prouvent que le sport peut être un moteur d’inclusion sociale et de résilience.

L’enjeu pour l’avenir sera de s’assurer que les succès paralympiques ne se limitent pas au terrain sportif, mais qu’ils se traduisent par des avancées concrètes en matière d’inclusion des personnes en situation de handicap dans toutes les sphères de la société.

Par Bénédicte Couturier