Entre vulnérabilité et viralité : la santé mentale s’invite sur TikTok

Depuis la rentrée de septembre 2024, la santé mentale a progressivement envahi l’espace numérique, en particulier sur TikTok. En France, le contexte est marqué par l’augmentation des troubles psychologiques chez les jeunes adultes et la prise de conscience croissante des enjeux liés à la santé mentale dans le monde professionnel. Dans cet environnement, TikTok devient une agora où chacun partage son expérience, oscillant entre témoignages personnels, conseils amateurs et vidéos virales. L’annonce récente du Premier ministre Michel Barnier, qui souhaite faire de la santé mentale la « grande cause nationale » de l’année 2025, renforce encore l’importance de ce sujet. Parallèlement, TikTok a intensifié sa collaboration avec l’Organisation mondiale de la Santé pour promouvoir des comportements sains en ligne, répondant aux dérives observées sur la plateforme.

Mais au-delà des annonces politiques et des initiatives, TikTok révèle un visage contrasté de la santé mentale, mêlant paroles libérées et risques de désinformation. Cette analyse, menée sur les contenus publiés entre le 1ᵉʳ septembre et le 9 octobre 2024, explore les dynamiques autour de ce sujet sur la plateforme et examine comment ces discussions façonnent la perception publique de la santé mentale.

Une dynamique autonome

Sur TikTok, la santé mentale accumule plus de 3 347 résultats uniques, avec une moyenne de 84 vidéos publiées par jour. Ces vidéos, créées par plus de 2 100 utilisateurs, ont suscité un engagement massif, atteignant plus de 2,2 millions de « likes ».

Contrairement à d’autres plateformes comme X, les pics d’activité ne coïncident pas forcément avec des événements spécifiques. Par exemple, les pics observés les 25 septembre et 3 octobre se sont produits sans cause identifiable, soulignant le caractère autonome de la discussion sur la santé mentale sur cette plateforme.

Évolution des contenus liés à la santé mentale sur TikTok, entre le 1ᵉʳ septembre et le 9 octobre

Visibilité des troubles : entre témoignages et conseils amateurs

Parmi les sujets les plus abordés, les troubles anxieux se distinguent. Les témoignages personnels sont légion, souvent illustrés par des vidéos sur la procrastination ou les crises d’angoisse. Certains créateurs, comme Angesdanslesnuages ou Arthur Varin, abordent l’anxiété sociale et les déclencheurs des crises d’angoisse avec une grande sincérité. D’autres proposent des séances d’hypnose ou des conseils non professionnels pour gérer l’anxiété, ce qui soulève des questions sur la validité et la sécurité de ces contenus.

Les troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) sont également très présents. Des créateurs partagent leur quotidien en illustrant les symptômes du TDAH à travers des vidéos légères, mais instructives. Des comptes comme CerveauTDAH décryptent les comportements liés à ce trouble, en touchant à des sujets variés comme la gestion des émotions ou l’alimentation.

Les troubles du comportement alimentaire (TCA), quant à eux, bénéficient d’une visibilité importante. Des contenus controversés, allant des conseils pour cacher une anorexie à des vidéos de « mukbang » (consommation excessive de nourriture), sont partagés sans modération apparente. Ce type de contenu expose la limite entre la liberté d’expression et la promotion de comportements dangereux.

La santé mentale au travail et l’humour

Les sujets de santé mentale liés au monde professionnel sont fréquemment abordés sur un ton humoristique. Les créateurs de contenu utilisent les tendances virales et les mèmes pour évoquer les enjeux du burnout ou du stress, créant ainsi des espaces de discussion plus légers et accessibles. Cette approche permet de sensibiliser un large public, mais peut aussi dédramatiser des problématiques sérieuses.

Une visibilité limitée pour les professionnels de santé

L’un des constats les plus frappants de cette étude est l’absence relative des professionnels de santé dans ces discussions. Bien que certains médecins ou psychologues soient présents sur TikTok, ils n’occupent pas une place centrale. Ce décalage entre leur implication et leur visibilité est préoccupant, d’autant que la majorité des vidéos partagées proviennent d’utilisateurs sans expertise médicale, ce qui peut entraîner une propagation d’informations erronées ou non validées.

Répartition des professionnels qui s’expriment sur la santé mentale sur TikTok, entre le 1ᵉʳ septembre et le 9 octobre

Des coachs en développement personnel très influents

Les coachs en développement personnel dominent largement les discussions autour de la santé mentale sur TikTok. Leur présence est massive, avec des conseils souvent simplifiés, mais très accessibles pour les utilisateurs. En revanche, les diagnostics plus complexes ou les approches thérapeutiques sont moins visibles, ce qui souligne une tendance à privilégier les solutions rapides aux dépens d’un suivi professionnel.

Au-delà de la viralité : un enjeu de responsabilité

TikTok s’affirme comme une plateforme de choix pour aborder la santé mentale, mais le contenu partagé reste largement non encadré. Si cette plateforme a le mérite de libérer la parole sur des sujets sensibles et parfois sous-représentés, elle devrait également encourager une plus grande implication des experts pour garantir la fiabilité des informations. La santé mentale est un sujet complexe et seul un accompagnement professionnel peut offrir des réponses adaptées aux problématiques soulevées.

Ci-dessus, des encarts informatifs qui apparaissent lors de recherches sur des contenus liés à la santé mentale, tels que “anxiété” ou “TCA”, mais leur présence n’est pas systématique pour d’autres termes comme “trouble anxieux généralisé”, “trouble borderline” ou “TOC”.

Par Hamama Naili