Affaire Depardieu : quand les tribunes alimentent la guerre des opinions

Le documentaire « Gérard Depardieu, la Chute de l’ogre » diffusé sur France 2 a agi comme un catalyseur, attirant l’attention de 1,52 million de téléspectateurs et déclenchant une avalanche de débats dans l’affaire Depardieu. Au-delà des erreurs flagrantes, des postures médiatiques discutables et des tentatives de réhabilitation, un affrontement idéologique et une guerre médiatique se dessinent.

Du #MeToo au #Depardieu

Depuis l’essor du mouvement #MeToo en 2017, l’affaire Depardieu a pris des proportions inattendues. Chiffres à l’appui : on note plus de 87 000 mentions du #Depardieu dans la sphère digitale, 24 heures seulement après la diffusion du documentaire le 7 décembre dernier.

L’analyse des conversations en ligne met d’ailleurs en lumière plusieurs points critiques :
● Le blâme des victimes et la minimisation du préjudice causé par les actions de Depardieu est l’un des thèmes récurrents. Certains utilisateurs suggérant que les femmes impliquées étaient en quelque sorte responsables de ce qui leur est arrivé.
● A noter également que de nombreux utilisateurs expriment leur frustration et leur déception face au manque de soutien et de ressources disponibles pour les survivantes de violences sexuelles.
● L’accent est également mis sur le contexte culturel et les normes sociétales qui permetteraient et perpétueraient la violence sexuelle, certains utilisateurs affirmant que le problème dépasse le simple individu et reflète des problèmes systémiques.

La guerre des opinions

Le traitement médiatique, cristallisé par les réactions immédiates sur les réseaux sociaux après la diffusion du documentaire, souligne l’ampleur de l’impact sur le public. Les tribunes qui ont suivi ont envenimé le débat, créant une véritable bataille d’opinions.

La révélation des premières images du documentaire sur X a d’ailleurs suscité 2 000 commentaires, 11 000 partages, 11 000 likes et 14,2 M de vues

#1 La tribune de la discorde, une manoeuvre stratégique pour influencer l’opinion publique

La lettre ouverte de Gérard Depardieu s’est conclue par une déclaration significative : « Au tribunal médiatique, au lynchage qui m’a été réservé, je n’ai que ma parole à opposer. » Cette prise de parole directe tend à positionner l’auteur en victime. Autrement dit, un levier stratégique habile pour façonner l’opinion publique.

Les choix de mots dans cette déclaration ajoutent une dimension particulière, étant ponctués d’illustrations saisissantes, comme lorsque Depardieu déclare : « Aujourd’hui je ne peux plus chanter Barbara parce qu’une femme qui voulait chanter Barbara avec moi m’a accusé de viol. » Ces images vivantes, parsemées tout au long du texte, visent à susciter une empathie profonde chez le lecteur, qui cherche ainsi à établir une connexion émotionnelle. C’est une tentative délibérée de gagner la compréhension et le soutien du public.

Cette stratégie, bien que controversée, ne manque pas de soulever des questionnements sur la nature de la vérité dans un contexte médiatique souvent propice aux jugements hâtifs.

#2 Défense présidentielle : la rhétorique de la réhabilitation

La prise de parole du président n’a fait qu’approfondir la fracture au sein de l’opinion publique. Un contrepied disruptif qui a généré des conversations animées. Sous le feu des critiques pour ses déclarations, le Président, dénonçant une « chasse à l’homme », a opté pour une rhétorique de réhabilitation. C’est ainsi qu’il s’est exprimé sur France 5, utilisant un registre laudatif et des termes élogieux pour décrire l’acteur, se déclarant « grand admirateur » de celui qui a « fait connaître la France et nos grands auteurs dans le monde entier ».

Les réactions en ligne témoignent de l’impact de cette position présidentielle. La publication de Franceinfo sur X a généré 30 000 vues et plus de 400 interactions.

La prise de position élyséenne a indéniablement alimenté le débat et accentué les clivages au sein du paysage cinématographique. Selon un sondage Elabe/BFMTV, la moitié des Français estiment d’ailleurs que le chef de l’État a « trop soutenu » Depardieu, tandis que 22 % jugent ses propos « équilibrés » et 28 % ne se prononcent pas.

L’association MeToo Media, défendant les victimes de violences sexuelles, a quant à elle vivement critiqué la position du président dans une tribune publiée le 27 décembre, estimant que celle-ci privilégie l’acteur populaire au détriment de victimes anonymes. Muriel Réus, vice-présidente du collectif, a déclaré que le président sortait de son rôle en niant ainsi la parole des victimes, qualifiant cette attitude d’inacceptable.

Ce soutien du président survient dans un contexte politique agité à l’Élysée, particulièrement suite à sa défense de la loi sur l’immigration.

#3 De la tribune de soutien au plaidoyer

Dans cette épopée médiatique et face à l’escalade des tensions, cinquante personnalités éminentes du monde de la culture ont à leur tour uni leurs voix dans une tribune, plaidant pour la préservation de la réputation de Gérard Depardieu. Le titre, révélateur et empreint d’une affirmation sans équivoque, porte la marque d’une prise de position forte : “N’effacez pas Gérard Depardieu”.

Le texte, parsemé de périphrases ambiguës et parfois contradictoires, telles que « le dernier monstre sacré du cinéma », oscille entre la reconnaissance d’un talent exceptionnel et la prudence, voire le danger, suscitée par l’utilisation du terme « monstre ». Une ambivalence qui souligne la complexité du personnage et de la situation.

Dans l’expression de leur soutien, les signataires ont notamment fait usage du champ lexical empreint de violence, évoquant des expressions telles que « lynchage » et « torrent de haine » pour favoriser l’empathie. Cette sémantique gagne en intensité du fait de son association avec des tournures dramatiques et des personnifications fortes, comme celle affirmant que « c’est l’art que l’on attaque ». À la manière d’un discours solennel, le texte atteint son apogée avec une gradation ascendante concluante : « La mort de l’art. La nôtre. »

De la tribune de soutien au plaidoyer, les signataires entretiennent ainsi l’affaire en faisant de Gérard Depardieu l’incarnation même de la culture.

#4 La contre-tribune

En réaction aux soutiens de l’acteur, 8 000 artistes ont signé en 48h la contre-tribune lancée par le collectif “Cerveaux non disponibles” au 103k abonnés sur X. Une publication qui a d’ailleurs généré 249 commentaires, 530 partages et 1 000 likes et 252,5k vues.

Ce sujet a généré plus de 81,4k mentions sur la toile depuis le 7 décembre (Talkwalker). Que retenir de cette nouvelle parution et des conversations en ligne ?
● Les artistes signataires ont pointé du doigt “la loi du silence autour de l’affaire”.
● Ils appellent à la justice et partagent leur soutien aux victimes de violences sexuelles.
● Ils y soulignent l’inversion présumée des rôles dans la médiatisation de l’affaire et insistent sur la nécessité pour les artistes d’assumer leurs responsabilités et de dénoncer l’injustice.

Utilisée à bon escient, la tribune se révèle être un véritable levier pour influencer l’opinion publique. Les termes les plus fréquemment utilisés dans le contexte de l’affaire Depardieu soulignent cette appropriation par les médias et la société civile : « tribune », « reportage », « Figaro », « BFMTV », et « France Info », mais aussi des termes davantage moralisateurs tels que “honte, “sexistes” et “honneur”.

Cette montée en puissance, largement amplifiée par l’influence médiatique, a suscité un revirement chez environ 60 signataires initiaux de la tribune de soutien. Que ce soit sous l’effet de la pression médiatique ou d’une prise de conscience des signataires, une certitude émerge : la politisation de l’affaire a ébranlé les positions initiales.

Finalement, l’une des questions majeures au cœur de cette bataille d’opinions reste la suivante : est-il possible de séparer l’homme de l’artiste ? Une interrogation qui, dans ce contexte, soulève des défis complexes et moraux, et donne inévitablement du grain à moudre à l’agora médiatique, politique et digitale.